Littérature de saucisson sec
Archive d’un test passé…
L’autre jour dans les transports en commun, l’homme assis en face de moi commença à prendre les voyageurs à partie sur des sujets divers et variés. Malgré sa verve remarquable, personne ne semblait vouloir participer à cet échange. Au moment où il allait se mettre à chanter, je me permis d’intervenir, y voyant là une très belle occasion de parler saucisson sec.
Je me présentai à lui comme testeur de saucissons. Le temps d’apprendre qu’il fut à l’époque compteur de puces sur la côte est des Etats-Unis que j’embrayai directement sur mon dernier test: une saucisse sèche d’Auvergne.
Aspect:
Je lui montrai en préalable une photo de ladite saucisse sèche. Il fut subjugué par cet art, la photographie de saucisson, qu’il considéra comme un digne héritage de Kandinsky. Un débat houleux s’en suivit où je ne pus réussir à lui faire admettre que le visuel d’un saucisson sec se réclame du terroir et non de l’esprit, brillant ou pas, que peuvent avoir certains artistes contemporains, biochimistes dans l’agroalimentaire.
Toucher:
Discrètement j’ouvris mon imperméable pour faire apparaître à ses yeux la saucisse sèche. Je lui fis signe d’approcher en douceur pour ne pas attirer les regards et la convoitise qui en aurait découlé.
Il glissa sa main et s’en empara. Elle lui rappela de nombreux souvenirs qu’il fut passionnant d’écouter même si certains détails m’échappèrent.
Mais ce qui me frappa surtout fut que sa main, pour le moins crasseuse, devint blanche. La communion entre l’homme et le saucisson sec avait eu lieu et nous nous en sommes émus tous les deux.
Fumet:
D’un coup une dame se montra indisposée par l’odeur. Etait-ce celle de mon ami, plutôt musqué, ou celle de cette saucisse sèche, plutôt porcino-industrialo-champêtre ?
La réponse se fit évidente lorsque nous lui proposâmes, pour apaiser les tensions, une petite tranche. Elle refusa tout de go tout en s’inquiétant des circonvolutions de notre monde…
Goût:
Il attaqua la saucisse sèche à pleine dent, celle qu’il lui restait devant. Et j’attendis son verdict avec impatience… Allait-il être identique au miens ?
Il me dit que la volupté inhérente à ce genre de mets pouvait créer chez certaines personnes une frénésie morbide, ce que j’acquiesçai immédiatement, mais que ce n’était pas le cas ici.
Il préféra se sustenter de quelques tranches et il essuya délicatement ses lèvres devenues brillantes avec la manche de sa chemise. Je lus sur son visage la déception et un léger pincement au cœur me traversa.
Conclusion:
Nous laissâmes sur place cette satanée saucisse sèche d’Auvergne qui vraiment ne méritait pas qu’on s’y attarde si longuement et nous nous quittâmes bons amis, lui partant se reposer dans un coin de ma tête, juste le temps nécessaire pour me permettre d’écrire cette critique.